jeudi 19 novembre 2009

LE GOUVERNEMENT MONDIAL - 2004

LE GOUVERNEMENT MONDIAL

États Post-nationaux, Réseaux d’influence, Biocratie

Février 2004

par BUREAU D’ÉTUDES

Imaginons la mise en place d’un gouvernement mondial passant par le contrôle des processus d’accession au pouvoir étatique, imaginons ensuite que ceux qui les contrôlent soient associés aux pouvoirs financiers, qu’ils partagent les mêmes buts, la même grande stratégie voire la même idéologie et qu’ils se coordonnent ensemble dans la production des règles, dans la gestion des ressources et des systèmes techniques mondiaux, dans le management de l’information sur les comportements individuels de centaines de millions de personnes. Imaginons que les milliards d’humains restant soient gérés par les procédures plus classiques de la dictature militaire et de la guerre. Il y aurait un complexe organisé de firmes contrôlant ou cherchant à contrôler à leur profit et pour leurs propres objectifs, les fonctions longtemps monopolisées par l’État (école, justice, armée, recherche) mais également les fonctionnements propres au vivant.

Esquisse synoptique sur le gouvernement mondial

« …Vous voilà, bientôt, grâce au ciel, hors des mains de vos rebelles sujets…Là-dessus, mon Cousin, j’entre, comme vous voyez, dans tous vos sentiments, et prie Dieu qu’il vous y maintienne : mais je ne peux approuver de même votre répugnance pour ce genre de gourvernement qu’on a nommé représentatif, et que j’appelle, moi, récréatif, n’y ayant rien que je sache au monde si divertissant pour un roi, sans parler de l’utilité non petite qui nous en revient…Le représentatif me convient à merveille…L’argent nous arrive à foison. Demandez à mon neveu d’Angoulême, nous comptons ici par milliards, ou, pour dire la vérité, par ma foi, nous ne comptons plus, depuis que nous avons des députés à nous, une majorité, comme on l’appelle, compacte ; dépense à faire, mais petite…cent voix ne me coûtent pas, je suis sûr, chaque année, un mois de Mme de Cayla…Je pensais comme vous vraiment, avant mon voyage en Angleterre ; je n’aimais point du tout ce représentatif ; mais là j’ai vu ce que c’est : si le Turc s’en doutait, il ne voudrait pas autre chose, et ferait de son Divan deux Chambres…Il ne faut pas que tous ces mots de liberté, publicité,représentation vous effarouchent. Ce sont des représentation à notre bénéfice, et dont le produit est immense, le danger nul, quoi qu’on en dise… »

(Cet extrait, provient d’une lettre secrète que Louis XVIII envoya[1] à Ferdinand VII en Août 1823 ; cette lettre tomba dans les mains d’un agent secret de Canning à Cadix, et sa publication souleva une polémique en Angleterre – cf. The Morning Chronicle en Octobre 1823)

Le gouvernement mondial est décrit ici comme un complexe intellectuel coordonnant, accumulant et concentrant des moyens capables de déterminer et de normer les devenirs du capitalisme. Ce complexe est constitué de cœurs financiers, réseaux de boîtes-à-penser (think tank) diplomatiques et stratégiques, offices d’orientation des recherches scientifiques et techniques, réseaux d’influence politique, mafias, services d’intelligence, sociétés d’expertise juridique et d’audit. Il est persuadé qu’un gouvernement composé de vieilles familles et de nouveaux cerveaux est préférable au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

De fait, il n’existe pas de "dictature des marchés financiers" ni "d’ultra libéralisme" mais un gouvernement structuré en réseaux et en hiérarchies coordonnées qui, à travers de petites décisions sur des points dominants et par délégations de responsabilités successives dans l’ensemble des organisations qu’ils contrôlent, mettent en œuvre des stratégies et font avancer leurs objectifs à l’échelle d’un pays, d’une région et de la planète. De par leur position, leur capital social, culturel, symbolique, financier, certains individus, groupes ou lignées déterminent de façon directe ou indirecte, une part déterminante du potentiel planétaire. Ils renforcent leur cohérence par alliance, stratégies croisées ou coordonnées, renvoi d’ascenseur ou par inter-mariages. Une partie de ce complexe gouvernemental est donc stable, pérenne mais également divers, étant constitué de multiples lignes d’accumulation de capital qui s’étalent sur plusieurs générations.

Une autre partie du gouvernement mondial, à la façon du "popolo grasso" de la République de Venise, est composé de nouveaux cerveaux dont les ambitions, les intérêts, et les stratégies, convergent avec ceux de la vieille noblesse et de la vieille bourgeoisie, ou d’une fraction de ces dernières, voire les influent. Ce groupe est composé d’individus, jeunes condottiere, "élus" aux postes les plus importants des fonctions gouvernementales d’entreprises ou d’institutions publiques, militaires, religieuses et civiles.

Les réunions du G8 ou les sommets de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), avec leurs négociations à huis clos et parfois secrètes, ne sont que la part apparente et publique de ce complexe dessinant à son usage un ordre nouveau - un nouvel appareil de reproduction - capable de contraindre les acteurs récalcitrants à se soumettre à son nouveau régime, de forcer leur coopération, ou du moins les affaiblir et les neutraliser. Ce complexe de conception/concertation/coordination de la planète-usine intègre la conflictualité idéologique, tactique ou diplomatique à l’intérieur même d’une classe sociale mondiale, se répartissant les rôles du méchant, du bon et de l’intercesseur. Ainsi, des conflits traversent le monde en opposant certaines fractions de classe à d’autres. Dans certains cas, les fractions antagonistes parviennent à s’entendre dans un partage coordonné du gâteau mondial. Dans d’autres cas, les fractions ne peuvent parvenir à un nouveau compromis que par le biais d’une guerre.

Le gouvernement mondial, aussi puissant soit-il, poursuit sa consolidation. Depuis le 11 septembre 2001 sa violence s’intensifie. Il semble vouloir faire table rase de toutes forces antagonistes susceptibles de déplacer ou d’interférer avec les lignes gouvernementales.

Le texte ci-dessous se limite à survoler certains traits saillants passés ou présents, ayant contribués à former ou constituant aujourd’hui un gouvernement mondial. Ce gouvernement ne se voit pas, à la façon dont on voit les signes de l’État sur le territoire français. Il n’y a pas de drapeaux, de costumes, d’organigrammes. C’est pourquoi la locution "gouvernement mondial" nous semble plus approprié que celle d’État mondial. Cependant, cette locution ayant été utilisée dans différentes guerres de l’information au cours du XXe siècle, nous avons jugé nécessaire d’en esquisser l’histoire - et de prendre nos distances - avec quelques thèses conspirationnistes qui en ont fait la promotion (voir la note finale). En outre, nous voulons mettre en garde contre une grille de lecture nationaliste ou souverainiste, de droite ou de gauche, qui serait de toute évidence une fausse interprétation. Nous ne souscrivons pas à ces politiques, inaptes à répondre aux potentialités du présent. Nous voulons également mettre en garde le lecteur contre toute lecture réductionniste des informations concernant certaines familles évoquées à titres d’exemple. Bien que nous soyons convaincu de l’importance de familles telles que Rockefeller ou Rothschild dans le capitalisme du XXe siècle, d’autres lignées auraient pu servir d’exemple pour décrire les dynamiques d’accumulation de capital financier, culturel, symbolique ou social (Schneider, Krupp, Ibn Séoud, Windsor, Bush, Mitsui...).

LE DÉBORDEMENT DES ÉTATS-NATION

Dans les États-nation démocratiques, les affaires étrangères ont servi de levier à l’exécutif pour contraindre la politique intérieure, tout en renforçant l’autodétermination d’une classe sociale mondiale. Au nom de la sécurité nationale (et de la compétitivité), la politique étrangère justifia la mise au secret plus ou moins étendue de l’information gouvernementale, et l’autonomisation budgétaire et décisionnelle d’une partie de la politique militaire (les Services secrets). Ainsi, une structure gouvernementale de la classe mondiale se mit en place progressivement, tandis que les États de droit (nationaux) perdaient leur souveraineté.

Les Anglais ont été les précurseurs de la mise au secret de l’information gouvernementale avec l’Official secrets Act (1889) déclarant que la communication de toute information, par tout fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions à toute personne non autorisée, était un délit pour celui qui communiquait et pour celui qui recevait une information (sur les autres pays européens, voir Secret militaire et liberté de la presse, étude de droit pénal comparé, PUF, 1957). La Grande Bretagne a aussi créé les plus vieilles agences de services secrets au monde (création en 1909 du MI5 ; banques de données sous forme de fiches sur 16 000 personnes en 1914 et sur 137 500 en 1918). Depuis, les services du secret et l’industrie du renseignement sont devenus des dispositifs de contrôle coextensif des États de droit.

Aux Etats-Unis où le mécanisme de vote du budget rendait difficile la mise au point d’une politique échappant à la sanction parlementaire, Truman étendit le secret à des organismes non militaires, "autorisant n’importe quel département exécutif, n’importe quelle agence gouvernementale à déclarer "confidentielles" des informations, chaque fois qu’il semblerait que ce soit "nécessaire, dans l’intérêt de la sécurité nationale" (Arthur M. Schlesinger, La Présidence impériale, PUF, 1976, p. 354). Puis le secret, limité longtemps à l’activité militaire ou administrative, s’étendit naturellement à la recherche scientifique (il existe aujourd’hui plus d’un trillion de documents classifiés concernant la recherche scientifique aux Etats-Unis (selon Herbert Foerstel, Secret Science : Federal Control of American Science and Technology, Praeger, 1993).

Un gouvernement démocratiquement élu, en cachant tout ce qu’il veut, autrement dit, en occasionnant des fuites ou en mentant quand il le veut "dans l’intérêt de la sécurité nationale", se transforme facilement en une machine dédoublée, qui sait jouer à la fois de l’argent du contribuable et des caisses noires, des "échanges de bons et loyaux services" et des voyages officiels, des financements parallèles liés à la mafia et des détournements de fonds publics. Dans les démocraties, les aléas du contrôle sénatorial ou parlementaire et de l’irrégularité des mandats électoraux, ont suscité l’apparition d’instituts d’affaires internationales, organes diplomatiques et stratégiques privés ou quasi-privés, assurant une continuité dans la politique internationale.

La Round Table britannique créée par Cecil Rhodes et Lord Alfred Milner le 5 février 1891 est un des ancêtres historiques de ces instituts d’affaires internationales qui se sont multipliées depuis les années 50. Cette Round Table se "clona" au début du XXe siècle en une American Round Table regroupant notamment les puissants Morgan, Rockefeller et Carnegie, et dans différentes Round tables des pays du Commonwealth (Afrique du sud, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Inde). Après la Première Guerre mondiale, ces organisations changèrent de noms : l’American Round Table prit le nom de Council on Foreign Relations (1921), la Round Table anglaise devint le Royal Institute of International Affairs (RIIA). Les Round tables canadienne, sud africaine et australienne se dénommèrent le Canadian Institute of International Affairs (CIIA), l’Australian Institute of International Affairs, le South African Institute of International Affairs.

Après la Seconde Guerre mondiale, ces organisations furent complétées par d’autres, plus larges, telles que le Bilderberger Group (créé en 1954 à l’initiative d’un ancien SS, le Prince Bernhard de Hollande (Alden Hatch, H. R. H. Prince Bernhard of the Netherlands ; an authorized biography, Harrap, 1962) et la Trilateral Commission (créée en 1973 avec les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Japon, la Belgique, le Danemark, la France, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Hollande, la Norvège et le Royaume-Uni). La Trilatérale peut être considérée comme le pendant du G5, créé en mars 1973 par les ministres des Finances de 5 pays (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, France, Japon). Les instituts d’études en affaires internationales sont constitués aujourd’hui en réseau planétaire.

La guerre froide fut l’occasion propice à la construction de ce réseau post-national de coordination de la classe mondiale. Ce réseau peut être qualifié de total puisqu’il incluait des composantes stratégiques et diplomatiques, mais aussi économiques, militaires, religieuses, politiques et culturelles. La productivité et l’efficacité du front anti-communiste mondial tint autant en effet à l’invention de religion anti-communiste de base chrétienne (la secte Moon en Corée portée par la CIA), ou au financement des fractions catholiques ou protestantes anti-communistes (Opus Dei, Légionnaires du Christ, John Birch Society), qu’à la création de réseaux culturels internationaux tels que le Congress for Cultural Freedom (CCF).

Aujourd’hui, la présence des ex-directeurs des services secrets, de leurs amis et partenaires dans un certain nombre d’instituts d’affaires internationales (ainsi que dans les conseils d’administrations des plus grands fonds d’investissement) n’est pas un hasard. Elle assure la continuité de la politique poursuivie après 1945 notamment entre les pays du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Canada et Italie) puis du G8 (avec la Russie) qui totalisaient en 2000 plus de 70% de la production mondiale et 90 % des dépenses militaires totales dans le monde.

En Asie, le Japon fit très tôt preuve de sa coopération dans la construction d’un front anti-communiste : Yoshida Shigéru, premier ministre japonais de 1947 à 1952 fit arrêter 20 000 sympathisants communistes peu avant l’Accord nippo-américain du 8 septembre 1951. Cet accord fit du Japon le pivot du dispositif militaire américain en Extrême-Orient bientôt suivi par l’OTASE créée le 8 septembre 1954 à Manille (l’OTAN du sud-est asiatique) et par l’ASEAN le 8 août 1967 à Bangkok (Thaïlande, Malaisie, Singapour, l’Indonésie et les Philippines). Le 27 novembre 1971, les pays membres de l’ASEAN signèrent la Déclaration sur la neutralisation de l’Asie du Sud-Est, précisant que ceux-ci étaient "déterminés à faire tous les efforts initiaux nécessaires pour faire reconnaître et faire respecter l’Asie du Sud-Est en tant que Zone de Paix, de Liberté et de Neutralité". Des échanges de délégations commencèrent la même année entre la Malaisie et la Chine, puis entre 1971 et 1973, trois pays de l’ASEAN nouèrent des relations commerciales avec Pékin (les Philippines en mars 1972, la Malaisie en mai 1971, la Thaïlande en octobre 1972).

En 1955, la Conférence de Bandung (qui condamnait l’impérialisme et le colonialisme et affirmait la volonté d’émancipation des pays présents à l’égard des USA et de l’URSS en créant le Mouvement des pays Non-Alignés) ne remit pas en question ce réseau de coordination asiatique : sur les 29 participants, 14 pays étaient associés au système d’alliance des Etats-Unis. Dans un rapport du Conseil national de Sécurité américain de Janvier 1957, Nehru, l’un des artisans de Bandung, fut qualifié de "modéré non-communiste"(par contrecoup, la Chine le qualifia d’agent de l’impérialisme américain). Selon un courrier de l’Ambassadeur américain en Inde, la politique du non-alignement de l’Inde permettait d’économiser sur la charge économique qu’aurait représenté, pour les Américains, son soutien direct. "Les risques que feraient courir pour la sécurité américaine une Inde faible et vulnérable seraient plus importants que les risques résultants d’une Inde stable et influente" (Rapport du Conseil national de sécurité, 10 janvier 1957, FRUS, 1955-1957, vol. 8, pp.35-36 cité dans Gilles Bocquerat, Les avatars du non alignement, Sorbonne, 1996, p. 167). À partir de 1986-87, l’antagoniste soviétique cessa d’agir en Asie. L’URSS se retira d’Afghanistan et, en février 1989, fit pression sur le Vietnam pour négocier sur la question cambodgienne. Moscou réclama le remboursement de la dette vietnamienne et imposa le commerce aux prix mondiaux en devises convertibles.

Dans la zone Europe, Dean Acheson et Truman insistèrent pour que le Royaume-Uni et les Etats-Unis se liguent pour développer l’OTAN "en allant de l’avant et en agissant afin de forcer les autres à suivre" (Foreign Relations of United States, 1950, Tome VIII, p. 1430). Cette alliance donna une place à part au Royaume Uni qui refusa d’adhérer à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1951. Ce refus ne signifiait pas que l’alliance anglo-saxonne était contre la construction de l’Europe. Truman comme Eisenhower et Churchill poussaient à la création d’Etats-Unis d’Europe seuls à même de résister durablement à la menace soviétique. Comme le dira Eisenhower "nous ne pouvons pas être une Rome moderne qui garderait les frontières lointaines avec ses légions" (cité dans S. Ambrose, Eisenhower, p. 505). Le 16 Avril 1948, l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) était créée afin de coordonner le plan Marshall puis en 1949 etait signé le Traité de l’OTAN. Le Comte Coudenhove-Kalergi ayant eu l’idée dans les années 1920 de réunir le charbon allemand et le minerai français, surmontant ainsi l’antagonisme franco-allemand (cause de l’échec du projet européen), créa la Pan-European Union dans les années 1930. Il fonda en 1947 avec Churchill, l’Union Parlementaire Européenne (United Europe Movement), point d’origine du Conseil de l’Europe et du Parlement européen. Instigateur de la création d’une zone de libre-échange européenne et d’un gouvernement européen, Jean Monnet (collaborateur de la Hudson Bali Company et de Lazard frères mais aussi très proche des milieux financiers, juristes et politiques sous les administrations Roosevelt, Truman, Eisenhower, Kennedy) créa dans le même esprit le Mouvement Européen en 1958 qui regroupait les diverses tendances politiques favorables à l’Europe unie.

À partir de la fin de la Seconde guerre mondiale, plus aucun pays ne pouvait se maintenir dans une stratégie à base nationale. Alors même que les anciennes colonies croyaient conquérir leur souveraineté par leurs luttes de libération, cette souveraineté était dissoute par l’intégration économique, l’association contrainte et les intérêts négociés entre les centres d’accumulation de la planète. L’âge de la souveraineté amorçait son déclin. Les guerres mondiales du XXe siècle comme espace de débat entre les fractions d’une classe mondiale encore inconsciente d’elle-même ont suscitées une plate-forme gouvernementale de coordination et de concertation des différentes fractions de la classe mondiale. Aux périphéries, cette plate-forme développa une classe de soutien capable d’assurer par la dictature et le marché noir, la captation de ressources et le maintien d’une zone d’influence assurant l’avenir de cette captation (famille Somoza au Nicaragua (1936-1979), le Chah d’Iran (1941-1979), Marcos aux Philippines (1965-1986), Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak (1980-1990), Pinochet (1973-1990) au Chili, Suharto (1967-1998) en Indonésie, Mobutu (1965-1997) au Zaïre, etc.).

Ainsi les mafias et les dictatures d’un côté, leur utilisation opérationnelle ou tactique par les Services secrets, instituts d’affaires internationales, États, firmes transnationales de l’autre, métamorphosèrent en un seul complexe les empires d’avant-guerre. Dans le même mouvement, la politique des États-nation d’avant-guerre fut remplacée par une aire gouvernementale reléguant aux oubliettes la courte histoire des États-providence et des régimes démocratiques.

NŒUDS ET RÉSEAUX FINANCIERS Éléments d’une genèse

Dès le début du XIXe siècle, l’empire britannique voulut gouverner le monde en créant un marché commun des nations (Commonwealth) dirigé par l’aristocratie politico-financière. Un tel marché s’esquissait dès 1816 avec le Gold Standard, monnaie de crédit internationale, utilisé par la France, l’Allemagne, le Japon, la Russie et les Etats-Unis. Ce système monétaire international crédité sur l’or de la Banque d’Angleterre (Bank of England) était fondé sur la coopération de cette dernière avec les banques privées de la City, les Maisons Baring (dont la fortune remonte à la British East India Company), Hambros ou Rothschild, toutes fermement partisanes d’un marché libre mondial. Ces Maisons ont formé dès le début du XIXe siècle un réseau d’alliance (en février 1824, les Barings et Rothschilds co-fondèrent l’Alliance British and Foreign Life & Fire Insurance Company, Larry Neal The Financial Crisis of 1825 and the Restructuring of the British Financial system, 22nd Annual Economic Policy Conference at the Federal Reserve Bank of St. Louis October 16-17, 1997).

La relation historique existant entre la Banque centrale américaine (Federal Reserve Bank, FED) et la Banque d’Angleterre (Bank of England) ainsi que le travail effectué après la première guerre mondiale par Montagu Norman, membre de la Round Table britannique et Benjamin Strong, gouverneur de la Federal Reserve Bank of New York et membre de l’American Round Table (The Bank of England, Money, power and influence, 1664-1994, Oxford-Clarendon Press, 1995) servirent plus tard de base à la mise en place de la première institution financière mondiale fondée sur la coopération entre les différentes banques centrales. Ainsi fut créée en 1930 la Banque des Réglements Internationaux (BRI) réunissant les gouverneurs des banques centrales du Groupe des 10 (Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada, Pays-Bas, Belgique et Suède, auxquels s’ajoute la Suisse et trois banques privées américaines, J. P. Morgan, First National Bank of New York et First National Bank of Chicago (cf. Charte constitutive de la BRI Entrée en vigueur le 26 février 1930). Cette institution financière fût complétée en 1944 avec les Accords de Bretton Woods par la création du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale.

Le système de Bretton Woods n’offrit pas, comme son précédent anglais, une monnaie internationale ayant le caractère de monnaie de crédit : la proposition de Keynes d’instaurer une monnaie des monnaies nationales (le Bancor) permettant de garantir l’ordre monétaire international à l’égard des pressions politiques et spéculatives, fut abandonnée au profit du Plan White (américain) faisant du dollar la monnaie internationale de l’après-guerre. Mais l’adoption du Plan White jeta les bases de la faillite du système monétaire dans les années 1970. La fin de la convertibilité du dollar en or, l’essor du marché des euro-dollars, les innovations technologiques facilitant la circulation des informations et accélérant le transfert de capitaux, les inventions financières, juridiques et comptables, l’explosion d’un marché financier offshore dans les années 1970 poussèrent en avant les théories néo-monétaristes et les partisans de la dérégulation. Ces transformations modifièrent partiellement l’ordre du capitalisme de "club" reposant sur une noblesse d’affaires soucieuse de tenir son rang.

En Grande-Bretagne, cette révolution financière fut, dans une large mesure, une révolution imposée par la Banque d’Angleterre qui, "en se prononçant en faveur d’une suppression des commissions fixes, a donné le signal d’un renouveau de la compétition débouchant sur des réformes structurales plus profondes : suppression de la distinction entre brokers [intermédiaires financiers] et jobbers [banques], puis rachat des vieilles maisons de la City par les conglomérats internationaux" (Yves Dezalay, Des notables aux conglomérats d’expertise, Revue d’économie financière, n°25, été 1993). Le besoin de réglementer toutes ces transformations provoqua une montée en puissance des technologies juridico-financières américaines et des firmes de droit (Price Waterhouse, Ernst & Young, Deloitte Touche Tohmatsu, Booz Allen & Hamilton, Arthur Andersen...). Il provoqua aussi la montée en puissance des firmes d’intelligence économique supposées accroître la visibilité et la gouvernementalité d’entreprise. Il favorisa enfin la multiplication des instituts néo-monétaristes et renforça l’influence des partisans de la dérégulation.

Avec la crise du modèle keynésien, la politique anti-communiste de l’Alliance Atlantique pouvait entièrement se consacrer à un néo-monétarisme et un néo-libéralisme qui remettaient en cause la solidarité et la redistribution, deux principes fondamentaux de l’État social. Ce néo-monétarisme et ce néo-libéralisme furent théorisées par Von Hayek, créateur dans les années 1930 de la Society for the Renovation of Liberalism, qui devint en 1947, la Mont Pelerin Society (la MPS comptait parmi ses membres Karl Popper, Max von Thurn und Taxis, Otto von Habsburg, Henry Simons). Cette société fut, en outre, la tête-de-pont du réseau d’instituts et de boites-à-penser (think tank) néo-libérales qui fleurirent à partir des années 1970 dans le monde entier.

Le néo-libéralisme fut également diffusé par les grandes écoles telles que la London School of Economics (qui avait comme professeur Friedrich A. Hayek et où David Rockefeller et Soros ont fait des études), ou l’Université de Chicago fondée par John D. Rockefeller Senior (avec pour enseignants en dehors de Friedrich von Hayek lui-même, des économistes néo-libéraux tels que Jacob Viner, Gary Becker, Milton Friedman). Antony Fisher de la Mont Pèlerin Society créa des boites-à-penser telles que le Fraser Institute à Vancouver (Canada) en 1974 ou encore le Manhattan Institute à New York en 1977. Ce dernier, mis en place avec la bénédiction du directeur de la CIA de l’époque, Franck Carlucci, du futur directeur de la CIA, William Casey et des firmes financière JP Morgan ou pharmaceutique Eli Lilly (Georges Bush Senior était directeur de Eli Lilly au moment de la création du Manhattan Institute) fut le point d’origine de la politique de la "Tolérance zéro" et de l’État pénal aux Etats-Unis.

Aujourd’hui il existe plus d’une centaine d’instituts et de boites-à-penser de cette sorte dans le monde, partisans d’une dérégulation et d’États policiers. Certains de ces instituts sont présents simultanément dans différents pays (l’Aspen Institute existe en Italie, en Allemagne, au Japon, en France, aux Etats-Unis). D’autres, bien que faisant partie ouvertement ou tacitement du réseau, ne dépassent pas le niveau national. En France, ce réseau est représenté aujourd’hui par l’Institut Montaigne (Claude Bébéar et Alain Mérieux), l’Institut Euro 92 créé par Alain Madelin (son président est Jean-Pierre Raffarin, premier ministre français) ou encore, le Cercle Pinay, créé par un proche de l’Opus Dei, ancien président du Conseil sous la IVe République, Antoine Pinay. Dans les pays d’Europe de l’Est, les Fondations Soros ont pilotées la transition des pays d’Europe Orientale et Centrale vers leur intégration au capitalisme planétaire (création de fondations en Hongrie en 1984, en Chine en 1986, en URSS en 1987, en Pologne en 1988...). En Amérique latine, la Fundacion Internacional para la Libertad (FIL) compte parmi ses membres des boites-à-penser néo-conservatrices telles que The Cato Institute, The Heritage Foundation, The Manhattan Institute, The Atlas Economic Research Foundation et d’autres organisations sud-américaines telles que la Brazils Instituto Atlantico, le Chiles Instituto Libertad y Desarrollo et le Centro de Estudios Legales, l’Ecuadors Instituto de Politicas Publicas (IPPE) et le Cedice (Venezuela). Leonard Liggio, vice-président de l’Atlas Economic Research Foundation, a été choisi par la Mont Pelerin Society comme nouveau président le 10 octobre 2002. Si certains de ces instituts sont classés dans le "camp" néo-conservateurs, d’autres appartiennent à la faction libérale ou socialiste (l’Institute for Public Policy Research ou Demos avec A. Giddens en Grande Bretagne, le Cercle de l’Industrie de Dominique Strauss-Kahn en France), occupant ainsi la totalité du champ de visibilité des démocraties.

LE CŒUR FINANCIER

D’un point de vue structurale, les transformations financières mondiales et le mouvement de dérégulation poussèrent à l’intégration des cœurs financiers nationaux et du même coup amorcèrent la construction d’un coeur financier mondial. Dans les années 1970, les cœurs financiers étaient encore nationaux. En France, le cœur financier était bâti autour des deux banques d’affaires Suez et Paribas (François Morin, Structure du capitalisme français, Calmann-Levy, 1974) ; en Italie, autour des sociétés bancaires ou industrielles Mediobanca, Generali, Agnelli et Benedetti ; en Allemagne autour des banques Dresdner Bank, Commerzbank et Deutschebank ; en Angleterre, autour de Barclays, Prudential et Morgan Guarantee. En France et en Allemagne, le taux de concentration de la propriété a toujours été très élevé : en 1999, dans 80% des 170 premières sociétés cotées aux bourses de Paris et de Francfort, un seul actionnaire possédait 25% des actions pour chacune d’entre elle (Colin Mayer, Firm Control, University of Oxford, 18 février 1999).

Un rapport de 1976 montre l’existence d’un cœur financier international stable dans les années 1970... héritant de 50 années d’intrigues, d’alliances et d’incestes financiers ou politiques (Federal Reserve Directors : A Study of Corporate and Banking Influence. Staff Report, Committee on Banking, Currency and Housing, House of Representatives, 94th Congress, 2nd Session, August 1976). On peut vérifier l’exactitude de ce rapport en lisant les biographies des différentes personnalités impliquées dans sa direction. Ces lectures croisées permettent ainsi de comprendre les liens unissant les grands groupes financiers de l’époque (J. P. Morgan, Chase Manhattan, Rothschild, Brown Brothers, Lazard, Harriman, National City Bank, Warburg, J. Henry Schroder - aujourd’hui IBJ Whitehall Bank & Trust Company, filiale de Industrial Bank of Japan) et les banques d’Angleterre et de New York (la Federal Reserve de New York détermine la politique des différentes Federal Reserve américaines regroupées dans la FED). Ces lectures croisées permettent également de saisir des alliances passant outre les différends qui ont opposé les nations les unes aux autres au cours du XXe siècle : Prescott Bush, père du président George Herbert Walker Bush président des Etats-Unis de 1988 à 1992, directeur exécutif chez Brown Brothers Harriman (dirigée par Averell Harriman, marié à la mère de Winston Churchill, source : www.churchill-society-london.org.uk/wscminor.html), conduisit les opérations bancaires du gouvernement national-socialiste à Wall street. L’Union Banking Corporation, filiale d’Harriman dirigée par Prescott Bush, était l’antenne new-yorkaise du Thyssen-Flick German Steel Trust, une firme esclavagiste notoire (Webster G. Tarpley & Anton Chaitkin, George Bush : The Unauthorized Biography).

À l’époque, les avocats de Prescott Bush à Wall Street n’étaient autres que Allen Dulles (travaillant pour la banque Schroder, futur directeur de l’OSS, créateur de la CIA et futur président de la Rockefeller Foundation) et John Foster Dulles, son frère. Ce dernier travailla longtemps dans le groupe Rockefeller (de 1922 à 1949, il fut directeur de l’International Nickel Compagny of Canada appartenant à Rockefeller) et fut directeur de la Consolidated Silesian Steel Compagny dans les années 30 (possédée à 66% par Friedrich Flick).

L’histoire des Dulles montre bien comment se rapporte l’un à l’autre le financier, l’industriel, le juridique (J.F. Dulles est avocat de Wall Street), le politique et le diplomatique (il est conseiller des Etats-Unis à la conférence du Traité de Versailles en 1919 et conseiller de la délégation américaine lors de l’organisation des Nations Unies à San Francisco en 1945). Elle permet aussi de saisir les liens stratégiques et idéologiques qui uniront des anciens nazis et impérialistes japonais aux dirigeants des Etats-Unis dans l’après-guerre. Le gouvernement américain déclara vouloir démanteler les Konzerns allemands et procéda à la fermeture de l’organisation allemande de vente du charbon (cette organisation appelée DKV-Deutsche-Kohl Verkaufs Gesellschaft, permettait la mainmise des industries de l’acier sur les mines de charbon). Pourtant en 1951, le Haut-Commissaire américain en Allemagne, John Jay McCloy (ex-président de la Banque mondiale), ordonna la libération des criminels de guerre SS, les industriels Alfred Krupp et Friedrich Flick qui recouvrèrent bientôt leur fortune (Frederich Flick était considéré en 1955 comme la cinquième fortune mondiale). John Mac Cloy, devint par la suite directeur de la Chase de 1953 à 1972, après avoir été chargé du compte Rockefeller dans la firme de droit des Rockefeller, la Milbank Tweed. John Foster Dulles, s’arrangea de son côté pour que le Japon n’ait pas à payer de réparations et que le gouvernement revienne aux anciens cadres de l’Empire nippon. Par le Traité de paix de 1951, il empêcha enfin les poursuites des prisonniers de guerre et des travailleurs forcés contre les exactions japonaises. La demande des Britanniques que "le Japon remette aux gouvernements des Nations Unies tout l’or qu’ils s’étaient indûment approprié" (Foreign Office Records, 7 mars 1951) fut également rapidement abandonnée par l’Angleterre qui se rangea en avril 1951 sur la position américaine demandant des réparations à hauteur de 60 millions de Livres-Or. Les Etats-Unis s’approprièrent ainsi l’immense trésor japonais (le "Lys d’or") constitué des 175 trésors impériaux écumés en Asie de l’Est et du Sud-Est par les Japonais dans une douzaine de pays pendant la Seconde Guerre mondiale (voir à ce sujet l’enquête menée pendant dix-huit années par Serling et Peggy Seagrave, relatée dans Opération lys d’or, Michalon, 2002). Un tel trésor maintenu secret par Truman permit notamment de financer en partie la politique anti-communiste des Etats-Unis, en corrompant des gouvernements ou des militaires ou encore en achetant des votes. Il contribua aussi à compléter les réserves américaines en or (les Etats-Unis possédaient la moitié du stock d’or mondial après la Seconde Guerre mondiale).

Dans l’après-guerre, Nelson Rockefeller invita "les pires fascistes et les pires nazis à Washington" selon Tucci, chef du Bureau de recherche latino-américaine au département d’État. Et Rockefeller de lui répondre :"tout le monde est utile ; nous allons amener ces gens-là à adopter une attitude amicale envers les Etats-Unis" (cité dans Peter Collier et David Horowitz, Les Rockefeller, une dynastie américaine, Seuil, 1976, p. 284). David Rockefeller disait bien qu’il est "impossible de dissocier une grande banque internationale, du gouvernement et de sa politique". La Chase (banque des Rockefeller) en est la preuve éclatante. "En 1948, après la rupture entre Tito et Staline, la Chase devint la principale liaison bancaire avec la Banque de Yougoslavie et en 1950 elle fut l’une des premières banques à accorder des crédits à l’Espagne de Franco. 20 ans plus tard, elle fut la première banque américaine à ouvrir une succursale à Moscou et la première à s’installer en Chine après la visite de Nixon à Pékin" (Peter Collier et David Horowitz, op. cit., p.286).

Aujourd’hui comme hier, les liens entre les fonds d’investissement et la politique demeurent aussi importants. Paribas-Genève accueillit un compte numéroté de Mobutu (www.ppp.ch/devPdf/Mobutisme.pdf), le Crédit Lyonnais ou l’Union Bancaire Privée les comptes numérotés des généraux algériens (www.maroc-hebdo.press.ma et www.anp.org/apelbanques/appelauxbanques.html). Citibank (aujourd’hui Citigroup) accueille des comptes du président mexicain Carlos Salinas ou du président gabonais Omar Bongo. Citibank est par ailleurs hautement impliquée dans le Plan Colombie (elle est l’un des premiers investisseurs étrangers dans ce pays, www.under.ch). Inversement, nombre de leaders politiques profitent de leur position pour constituer des fortunes financières (les dictateurs Duvalier à Haïti, Marcos aux Philippines, Suharto en Indonésie, Saddam Hussein en Irak, pour ne citer que ceux-là).

Le processus de fusion entre puissance financière familiale et politique parvient à son point d’aboutissement avec le clan des al-Saoud qui siègent aux Nations Unies (Arabie Saoudite) et qui financent plusieurs organisations politico-religieuses mondiales (Ligue Islamique Mondiale, Organisation de la Conférence Islamique, Organisation Mondiale de la Jeunesse Islamique). Au Canada, la fusion, moins visible qu’en Arabie Saoudite, n’en est pas moins bien réelle : les leaders des trois principaux partis sont liés à Paul Desmarais ou à sa société, Power Corporation. John Rae, conseiller pour la campagne électorale du Premier Ministre Jean Chrétien au Canada fut executive vice-president de Power Corporation (la société de Paul Desmarais), la sœur du premier ministre étant elle-même mariée à André, fils de Paul Desmarais. Le leader du parti conservateur ainsi que le leader du parti socialiste, tous deux opposants à Jean Chrétien, ont eux-mêmes chacun travaillé pour la Power Corporation. Et l’actuel Premier Ministre Paul Martin, vient lui-même de Power Corporation…

La continuité stratégique entre investissement et diplomatie explique la présence d’anciens de la CIA (Central Intelligence Agency) parmi les plus grands fonds d’investissement américains (Robert Gates est au conseil d’administration de Fidelity, John Deutsch à celui de Citygroup, Maurice "Hank" Greenburg à l’American International Group-AIG), ou, la présence d’anciens du MI5 et du MI6 (Services secrets anglais) dans les fonds britanniques. Cela explique aussi les choix des présidents successifs de la Banque mondiale cumulant des expériences dans les offices de régulation et dans les conglomérats financiers (John Mac Cloy a travaillé avec Rockefeller, notamment dans sa firme de droit Milbank, Tweed, Hadley & McCloy ; Eugene R. Black et Eugene Meyer ont été présidents de la Banque centrale américaine, la Fed ; Black a été administrateur du Population Council créé par Rockefeller, de la Ford Foundation, du Brooking Institute et directeur de la Chase Manhattan Bank de Rockefeller ; Robert Mc Namara a été membre de la Rockefeller Foundation ; George D. Woods a été directeur de First Boston Corporation ; Lewis T. Preston a été président de Morgan Guarantee et de General Electric (Rockefeller) ; James Wolfensohn a créé une société avec Rothschild (la Rothschild, Wolfensohn & Co), a travaillé avec Salomon Brothers, Schroder Banking Group, Darling and co. et a également fait partie de la Rockefeller Foundation et du Population Council.

Les transformations des cœurs financiers au sein de la Trilatérale influent sur l’organisation et le climat politique internationale. À l’intérieur de l’anneau gouvernemental mondial - le complexe de fonds d’investissement et de banques Barclays Plc (1er fonds d’investissement privé mondial), famille Rockefeller et Fidelity (1er fonds d’investissement institutionnel mondial, appartenant à Edward C. Johnson), JP Morgan Chase (Rockefeller/Rothschild), Rothschild, Citigroup, UBS, Merrill Lynch, Deutsche Bank, Mellon, Goldman Sachs, Axa, Pargesa - se forment des alliances, des coopérations, des partenariats régionaux. Les concentrations dans le monde financier américain se sont renforcées suite à l’abrogation, le 22 octobre 1999, de la loi Glass-Steagall (créée en 1933, après le Krach de 1929) qui imposait un cloisonnement entre les banques d’affaires, les banques commerciales et les compagnies d’assurance.

Les normes du capitalisme déterminées par l’anneau gouvernemental s’imposent naturellement aux conglomérats russes, japonais, indiens, chinois, brésiliens... en quête de clients et de partenaires. Les conglomérats chinois ou russes doivent se conformer aux règles et usages du cœur financier mondial pour être évalués par des agences de notations telles que Fitch, Standard & Poor’s ou Moody’s, être audités par Ernst and Young (essentiellement des sociétés anglo-saxonnes) et pouvoir ainsi avoir accès aux outil et système bancaire, assurantiel ou financier de la trilatérale ... Cependant, certaines fractions de classe entendent bien conserver leur contrôle sur les entreprises d’État. En Russie, la récente arrestation du magnat du pétrole Mikhail Khodorkovsky (qui avait revendu ses actions dans Yukos à Rothschild) montre bien que Vladimir Poutine tient à conserver les conditions de reproduction de son clan (un autre exemple est la détention de Vyacheslav Sheremet, premier-adjoint au président de Gazprom et PDG de Sibur, et son remplacement par le "poutiniste" Alexei Miller). De même, en Chine, malgré l’afflux massif d’investissements étrangers, l’entrée d’André Desmarais (Canada) dans le capital d’un conglomérat d’État (CITIC Pacific) demeure une exception. Au Japon, les participations étrangères - européennes ou américaines - sont rares dans les conglomérats Mitsui, Mitsubishi ou Sumitomo. Il n’y a pas de participations américaines ou britanniques dans un des premiers groupes financiers mondiaux, la Mizuho Financial Group, ou dans la troisième institution financière mondiale la Sumitomo Mitsui Banking corp. La classe mondiale n’est pas seulement "blanche" ou WASP (White Anglo Saxon Protestant). Elle est "multiculturelle", composée de familles bourgeoises historiques (impériales, nobles) japonaises, chinoises, ou sinisées, de vieilles familles arabes, jordaniennes ou libanaises, coréennes, thaïlandaises, indiennes, etc.

ACCUMULATIONS SOCIALES : LIGNÉES, COMMUNAUTÉS, CLASSE

La classe mondiale marie ou concilie les vieilles familles - le capital financier, social, culturel, symbolique voire génétique - de chaque région à des cerveaux sans filiation (Henri Kissinger, Franck Carlucci, Jean Monnet, Jacques Delors) employés pour accroître les capitaux, les conciliations et l’organisation du gouvernement mondial. Elle n’est pas fermée sur elle-même ; elle intègre en permanence des compétences et intègre de nouveaux entrants qui accumulent du pouvoir et démontrent à la perfection l’idéal de réussite, de carrière et de création de la classe moyenne. Ces nouveaux entrants doivent être accrédités par la bourgeoisie et l’aristocratie financière historiques. Ainsi en France, il est peu vraisemblable que Vincent Bolloré aurait eu la possibilité de bâtir un empire sans Antoine Bernheim (Lazard), ami de sa mère.

On ne peut pas distinguer une noblesse qui constituerait une aristocratie archaïque et une bourgeoisie dynamique, émergeant de la révolution industrielle et capable de développer les affaires : la noblesse est sur-représentée dans les conseils d’administration ou dans les organigrammes de l’État (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, La découverte, 2003). Les politiques dites "néo-libérales" poursuivies depuis la fin des années 1970 ont largement renforcé leurs fortunes et la mise en question des régimes démocratiques qualifiés "d’ingouvernables". Aux Etats-Unis, les taux d’imposition des revenus de plus de 400 000 dollars passèrent de 91 % durant la Seconde Guerre mondiale à 70 % dans les années 1960 et à 50 % en 1986, puis à 28 % dans les années 1990. De ce fait, 1 % des plus riches gagnèrent mille milliards de dollars pendant les seules années Reagan soit une hausse de 87 % de leur revenu. Le ratio entre le salaire des PDG et des ouvriers qui était de 1 à 40 en 1970 est passé de 1 à 531 dans les années 90 tandis que 6 millions de personnes sont désormais privées de droit civique, un ordre de grandeur comparable à celui du temps des goulags dans les années 1950 en URSS (www.democratie-socialisme.org, 13 septembre 2003).

L’idéologie classiste s’appuie en partie sur les stratégies dynastiques voire communautaires (biocratie) se construisant au fil des générations. Dans l’esprit dynastique, l’individu n’est qu’un usufruitier, le maillon d’une longue chaîne qu’il reçoit de ses aînés et qu’il doit transmettre. Le pouvoir de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie réside dans sa conscience et sa solidarité de classe, différente en cela de l’individualisme des classes moyennes rêvant de réussite, de carrière et de création. Dans le pool des familles nobles, certaines parviennent à se reproduire sur plusieurs siècles, tandis que d’autres émergent et tendent à être anoblies au fur et à mesure de leur avancée en âge. Certaines, importantes aujourd’hui, se sont constitué au XIXe siècle ou au XXe siècle grâce à l’industrie ou à la finance (Sellière/Demachy/Wendel en France, Ford, Bass, Lynch, Farish ou Bush aux Etats-Unis, Rockefeller dans le monde, Krupp en Allemagne, Tata en Inde, Li Ka Shing ou Henri Fok en Chine, Desmarais au Canada, James Riady en Indonésie). D’autres - notamment les familles royales ou princières - ont un capital historique sur plusieurs siècles (Windsor, Stuart ou Grovesnor en Grande-Bretagne, Soong en Chine, Mitsui, Mitsubishi, Hitotsubashi au Japon, Sultan Hassanal Bolkiah à Brunei, famille Cisneros en Espagne-Amérique latine, famille Bin Abdulaziz Alsaud, Aga Khan, Warburg, Oppenheimer ou Rothschild). Elles se sont fréquemment appuyées sur des religions qui, transformées en religion d’État ou d’empire ont divinisées le sang des familles.

Une étude serait ici à faire dans le détail pour évaluer l’impact de certaines familles dans l’histoire du monde. A titre d’exemple, en Chine avant Mao, rien ne se passait sans l’accord de la famille Soong. Charlie Soong (Song Jiashu, 1866-1918), un cantonnais débarqué clandestinement à Boston reçut l’aide d’un riche capitaliste de Durham, Julian Carr, qui finança ses études de théologie dans le Tennessee avant d’être envoyé en Chine comme prêtre par la China Mission Conference ce qui lui permit d’étendre son influence sur les chrétiens chinois. Plus tard, il se tourna vers les affaires en utilisant ses relations dans le monde des missionnaires protestants et bâtit, grâce à l’American Bible Society, une fortune qui lui permit notamment de financer les activités de la Ligue jurée de Sun Yat-sen à partir de 1894. Son premier fils, Zewen Soong (T. V. Soong, 1894-1971) fut diplômé de la Harvard Business School. Plusieurs fois ministre des Finances dans les gouvernements du Guomindang, il donna à la Chine son premier budget organisé, sa première monnaie unique et sa première banque centrale. Mais sa réputation de libéral pro-capitaliste moderniste en Occident masquait la réalité d’un personnage nationaliste en relation très étroite avec les triades de l’Opium et les sociétés secrètes chinoises. La fille aînée de Charlie Soong, Ailing Soong, après avoir été la secrétaire de Sun Yat-Sen (qui voulut l’épouser sans succès après que Charlie Soong eut refusé) se maria au début du XXe siècle à un jeune banquier (Kong Xiangxi), authentique descendant de Confucius (73e descendant) et redoutable spéculateur qui fut l’un des piliers du régime de Chiang Kai-shek. L’une de ses sœurs, Quigling Soong (1892-1980), secrétaire à son tour de Sun Yat-sen épousa ce dernier en 1915 avant de jouer un véritable rôle aux côtés des communistes et de Mao qui en feront la vice-présidente de la République Populaire de Chine. A ce titre, Quigling fut la Grande Dame de la République Populaire de Chine. Enfin, la cadette, Meiling Soong (née en 1897), suivit ses études au Wellesley College (Massachusetts) avant d’épouser en 1927 Chiang Kai-shek après que ce dernier se fut converti au christianisme. En 1949, elle devint vice-présidente de la République de Chine (devenue Taiwan depuis) et veilla notamment aux relations entre la Chine et les Etats-Unis (Jean Monnet, Mémoires, Fayard, p.134 et Alain Roux, La Chine au XXe siècle, Editions Sedes, 1999 p.188).

Sur un autre plan, en dehors de la récente lignée Rockfeller fréquemment évoquée précédemment, les monographies sur la dynastie Rothschild figurent l’ampleur de leur influence au cours des deux derniers siècles (Les Rothschild de Frédéric Morton, Les Rothschild de Derek Wilson et Contre bonne fortune de Guy de Rothschild). Les études généalogiques permettent de saisir les stratégies de reproduction ayant permis d’accroître leur capital social et financier (de même que dans l’aristocratie catholique, dans l’aristocratie ou la haute bourgeoisie ashkénaze – dont font partie les Rothschild – la reproduction est assurée par les fils, tandis que les filles servent à nouer des alliances avec d’autres grandes familles telles que les Warburg, Schiff, Worms, Fürstenberg, Fould, von Springer, Oppenheim, Lambert).

L’étude des conglomérats de médias dans le monde montre qu’un grand nombre d’entre eux appartiennent à un groupe réduit de grandes familles. Viacom (USA), deuxième groupe mondial de médias est contrôlé par Summer Redstone ; News Corporation (Australie), septième groupe mondial de média est contrôlé par Ruppert Murdoch ; Metro Goldwyn Mayer (USA), trente-septième groupe mondial est contrôlé par Kirk Kerkorian ; Bertelsman (Allemagne) est contrôlé par Reinhard Mohn et André Desmarais. Les plus grands actionnaires de Pearson Plc sont la famille David-Weill (Lazard, France) et Rothschild. Liberty Media (USA), trente-cinquième groupe mondial, est contrôlé par le Baron John Malone. Le groupe Berlusconi, vingt-neuvième groupe mondial, est contrôlé par le président de la république d’Italie Silvio Berlusconi qui contrôle également les télévisions publiques. Dow Jones (USA), vingt-troisième groupe mondial semble être contrôlé par la famille Bancroft. Les familles Ueno et Murayama contrôle le groupe Asahi (Japon). Le groupe Cisneros (Venezuela) est contrôlé par Gustavo Cisneros. TVN (Norvège) est contrôlé par la famille Schneider. Les frères Bass sont les plus gros actionnaires de Disney, etc. L’étude des conglomérats du pétrole montre une structure similaire - en partie familiale, en partie étatique - à celle des conglomérats de médias. Si la compagnie Petroleos de Venezuela S.A. est contrôlée par l’État, les majors sont contrôlés par les familles (Pennzoil Quaker State appartient notamment à la famille Bush, Royal Dutch Shell à la famille princière hollandaise et BP, probablement à une famille princière britannique ; Exxon aux Rockefeller ; Desmarais et Albert Frère détiennent une participation notable dans Total (France). Sans parler des compagnies saoudiennes... Comme les évènements en Afghanistan et en Irak l’ont montré, certaines de ces familles sont largement responsables de nombreuses guerres utilisées comme moyens d’accroître leur emprise (il y a un demi-siècle, Rockefeller avait été directement impliqué dans la guerre d’Éthiopie au côté de Mussolini).

La fin des États-nation, l’invention de régimes post-républicains, l’effritement des démocraties réputées "ingouvernables", la fin de l’État civil prétendant supprimer les distinctions de naissance, d’états, de culture ou d’occupation, ont participé à des degrés divers au repositionnement central d’un ordre social ou d’une classe dominante visant à l’immortalité. Aujourd’hui, cette classe dispose des moyens suffisants pour s’acheter les services d’armées privées (Executive Outcomes, Dyn Corporation, Kroll Associates) et d’intelligence (Dun & Bradstreet), pour balayer sans remords les restes de l’État social, ou pour susciter des dispositifs légaux - brevets, lois, normes ayant les mêmes effets que les armes les plus sophistiquées - nécessaires à la croissance de ses capitaux.

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Sommaire

Texte : Esquisse synoptique sur le gouvernement mondial

Index des noms cités

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Les cartogrammes représentent des vues synoptiques et gravitaires du pouvoir aujourd’hui. Ils en figurent les liens (liens croisés, liens personnels, administratifs, techniques), les identités (entreprises, administrations, dispositifs techniques, normes, clubs, personnes ou familles), les natures (médiatique, financière, judiciaire, technique, militaire) et les hiérarchies (actionnaire majoritaire/filiale, vieille noblesse, aristocratie, nouvelle bourgeoisie, hyperbourgeoisie, nomenklatura capitaliste). Ils cherchent à montrer les connexions invisibles, les identités transversales, produisant ainsi d’autres hiérarchies et d’autres subordinations que les organigrammes fonctionnels. Ils contournent la désinformation et la manipulation de l’information pratiquées par les médias dominants. Le cartogramme permet ainsi de s’orienter, de construire des stratégies, voire de mener des actions tactiques. La collection Cartogrammes est animée par Bureau d’Études.

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[1] Cette lettre attribuée à Louis XVIII est en fait, un célèbre faux littéraire de Paul-Louis Courier.

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